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Souvenirs de la maison des à-côtés

Roman, chapitre 2

21 Décembre 2015 , Rédigé par Mermed

Roman, chapitre 2

2

La prison a retrouvé son calme, les gamelleurs ont distribué le repas à tous les prisonniers qui, comme d’habitude, savent tout. Chacun a sa version de ce qui s’est passé. Les brillants pénalistes de la prison, les artistes du langage imagé, les voleurs de poules et autres braqueurs et même l’anthropophage, tous échangent dans cette atmosphère de franche et courtoise camaraderie qui ne peut se développer que dans un monde aussi raffiné qu’un couloir de prison quelques propos choisis.

- C’est un maton qui s’est fait buter.

- Qui? j’espère que c’est cet enfoiré (c’est peut être un autre mot qui a été utilisé mais le bruit des conversations empêche de bien saisir)

- Connard, c’est pas un maton, c’est…

- Tu me traites de connard, fils de pute.

- Respecte ma famille.

- Ta famille, je les…. (On entend vraiment mal) eh tapette.

Les conversations se poursuivent sur le même ton badin et sympathique dans les cellules.

 

Mermed est dans la sienne, seul. En Guyane, il était responsable de son groupe qui avait été lâché en autonomie dans la forêt, c’était grand. A la fin des trois semaines, ses copains avaient voulu retourner à Rio où ils étaient allés l’année précédente et où ils avaient passé un mois formidable, mais il n’avait qu’une envie, retrouver Béa. Il n’avait pas pu lui téléphoner tous les jours, mais il l’avait appelé chaque fois qu’il en avait la possibilité. Elle lui avait dit qu’elle l’attendait et qu’elle serait à l’aéroport, ils repartiraient à Toulouse en voiture et passeraient quelques jours dans un coin qui leur plairait. L’avion était arrivé, il avait récupéré son sac, elle était bien là, elle ne l’avait pas encore vu. Elle était un peu inquiète, il était avec les derniers passagers qui sortaient de la salle des bagages. Dès qu’elle l’avait vu, le sourire et le bonheur avait chassé l’inquiétude de son visage et ils s’étaient embrassés sans un mot, heureux, tellement heureux. Ils avaient traversé Paris. Elle l’attendait tous les jours, elle les comptait, il lui avait tellement manqué. Dans l’après midi, ils étaient arrivés dans un village au bord de la Loire où ils avaient trouvé un hôtel calme. Pendant les quelques jours qu’ils y avaient passé ils avaient oublié les trois semaines de séparation. Il pleuvait, il faisait froid, ils ne quittaient pas le village. Le matin ils prenaient le café, ils se promenaient, dînaient à l’hôtel où il n’y avait que quelques couples de touristes qui visitaient les châteaux. Ils aimaient bien ce village, ils s’aimaient. Ils parlaient, il lui racontait la Guyane, la forêt, les Indiens, elle lui avait demandé:

- A quoi servent ces manœuvres, si ça n’est à t’emmener loin de moi?

- A réviser la guerre.

- Et tu aimes la guerre Mermed?

- J’aimais mais depuis que tu m’en parles…

Elle voulait savoir si en Guyane il y avait ces têtes réduites. Il ne croyait pas mais il lui avait raconté qu’au Brésil il y avait des expéditions organisées pour les touristes chez les Jivarosoù ils achetaient des têtes réduites par des sortes de taxidermistes.

- Quelle horreur!

Une nuit, il lui avait dit que dès le premier soir chez Toni, elle lui avait fait penser à une Vierge de la renaissance

- Tu connais la peinture, Mermed?

C’est la première fois qu’il lui parlait de cette ressemblance, qu’ils parlaient de peinture, de son métier à elle.

- Mon père a beaucoup de tableaux, il n’aime que cette période, il nous emmenait en vacances voir des églises, des musées, alors même si je ne l’aimais pas lui, il m’en reste beaucoup de souvenirs.

- Il était comment ce tableau?

- C’était un très grand tableau, au fond d’une église, beaucoup de rouges différents.

- En Italie?

- Oui, mais je ne sais plus dans quelle ville.

- Je sais, on me l’a dit déjà et je le sais que je lui ressemble à cette Vierge, c’est celle de Titien dans l’Assomption.

- C’est ça.

- Je vais te faire aimer cette peinture, moi aussi je l’aime beaucoup.

Et elle lui en avait parlé des heures avec passion, avec finesse et avec simplicité, elle lui racontait Léonard et Raphaël, elle lui décrivait les tableaux, ces visages de femmes qui servaient de modèles aux Vierges de Bellini. En l’écoutant parler des tableaux qu’elle aimait, il retrouvait ses souvenirs, les connaissances qu’il avait malgré tout gardé au fond de lui et il aimait tellement Béa, il aimait ses mots et il aimait ces peintres qui seuls avaient su garder de tels visages pour toujours.

Et ils parlaient de leur vie, elle avait réfléchi à ce qu’ils pouvaient faire, elle avait parlé à son mari, elle lui avait dit qu’elle connaissait un autre homme. Il voulait bien la laisser seule quelque temps pour qu’elle réfléchisse, mais il tenait toujours à elle. Quelque chose la tracassait sans cesse, Mermed le sentait, il lui avait demandé ce que c’était,

- Je ne voudrais pas me tromper encore une fois.

- Tu crois que tu te trompes avec moi?

- Non, mais tu sais quand on a eu une expérience, on reste marqué.

Ils étaient rentrés à Toulouse. Ils avaient pris leur rythme, il était à la caserne du lundi au vendredi, avec elle tous les week end, qu’ils passaient souvent avec Gregor et Marie. Chaque fois le bonheur d’être ensemble les envahissait davantage, chaque fois il lui demandait,

- Quand, Béa, quand?

Chaque fois elle voulait lui dire tout de suite, mais quelque chose l’en empêchait toujours, quoi? Ses scrupules? Son anxiété? Une chose était certaine, son amour pour lui.

 

 

Six heures, Danielle s’éveille, seule comme depuis quelques semaines. Pourquoi est-il parti? Heureusement, il y a cette enquête, ça va l’occuper, l’empêcher de penser à lui. Elle a passé une bonne nuit, elle s’est endormie en réfléchissant à la prison, à ce texte qu’elle a lu. La prison, elle y a envoyé des gens mais elle n’en connaît rien. Elle sent qu’il y a forcément un lien entre ce corps et la prison – c’est évident – un lien avec un surveillant ou un détenu, plutôt avec un détenu. Comment trouver ce lien? Comment trouver le détenu concerné?

A sept heures, elle arrive au commissariat.

- Bonjour Madame le commissaire

- Bonjour, on a reçu les journaux?

- Ils sont sur votre bureau.

Elle prend un café au passage et regarde les titres – ceux qui se rapportent à son enquête.

 

Le Canard Enchaîné «un mort, quatre cent détenus»

Le Figaro «un corps de femme dans une prison d’hommes»

Libération «on est plus en sécurité dans les maisons de sûreté!»

Le Monde «le problème de la sécurité dans les prisonsest posé»

 

Les titres donnent le ton, les articles font monter la pression, elle sait qu’elle recevra encore beaucoup d’appels aujourd’hui.

- Bonjour, patron, vous êtes matinale.

- Bonjour Ichebac, vous avez réfléchi?

- Oui, mais je n’ai rien trouvé.

Elle pense que cette histoire a un lien avec quelqu’un de la prison, certainement un détenu:

- Oui, c’est logique, on doit avoir affaire à un vicieux.

- Mais intelligent. On va mettre le paquet sur trois points, la papeterie, le transport des colis et l’histoire de tous les détenus. C’est Rolles et Dupuy qui vont à Henoke?

- Oui, les voilà.

- Bonjour messieurs.

- Bonjour patron, bonjour Ichebac.

- Vous avez déjà pris rendez-vous à Henoke?

- Oui, on est attendu à neuf heures.

- Vous nous tenez au courant au fur et à mesure.

Les deux inspecteurs partent au moment où le téléphone sonne sur la table du commissaire

- Oui?

- Bonjour Madame le commissaire, déjà au travail?

- Bonjour Monsieur le préfet, oui il y a de quoi faire.

- Où en êtes vous?

La commissaire lui dit ce qu’ils vont faire aujourd’hui et promet de le tenir au courant.

- Vous voyez ça commence, dit elle à Ichebac.

- Je préfère ma place à la votre.

Rolles et Dupuy sont partis. Ichebac et deux jeunes inspecteurs se mettent à travailler sur le fichier des détenus que la prison leur a fait parvenir pendant la nuit.

A Paris le ministre reçoit le directeur de la police,

- Ce mort dans la prison, du nouveau?

- Un cadavre en huis clos, aucune entrée ou sortie suspecte dans la prison, une enquête qui s’annonce compliquée.

- Qui est en charge?

- Danielle Babel, elle est à Haran depuis deux semaines.

- C’est la fille de Babel?

- Oui.

- J’ai entendu parler d’elle, brillante je crois?

- Oui, elle a réglé l’affaire des otages, celle des documents disparus…

- Pourquoi a t’elle demandé à être mutée?

- Elle savait que Jobe partait à la retraite, c’était le seul poste disponible en province et elle voulait quitter Paris, histoire sentimentale.

- Elle est aussi solide que son père?

- Au moins autant. L’affaire est dans les meilleures mains possibles.

- Veillez à ce qu’elle ait tous les moyens à sa disposition, de tous les services.

- Pas de problème de ce côté, elle a toujours su y faire et comme c’est une très belle femme…

- Je vois, vous me tenez informé tous les jours?

- Bien Monsieur le Ministre.

 

Rolles et Dupuy sont bien arrivé à la papeterie dans une des zones industrielles de Henoke.

- Bonjour, police, nous avons rendez-vous avec le directeur.

- Bonjour messieurs, je le préviens.

Le directeur, un homme encore jeune, arrive.

- Bonjour messieurs, nous allons nous installer dans la salle de réunion.

Après avoir demandé à sa secrétaire de préparer trois cafés, il les écoute,

- Vous savez pour quelle raison nous venons..

- Le corps retrouvé à Haran?

- Oui, il était dans un des cartons de la papeterie.

- Je ne savais pas.

- On ne l’a appris qu’hier soir, quelle est la procédure que vous suivez pour livrer l’atelier?

- Toutes les marchandises que nous leur envoyons sont mises en carton en présence d’un représentant de l’administration qui vérifie et signe le listing. Les cartons sont fermés devant lui et chargés dans une camionnette, toujours en sa présence, on ne peut pas prendre les camions pour y aller, le sas est trop petit. A Haran, ils vérifient le listing et déchargent la camionnette. Dans l’autre sens, quand on charge le travail terminé, on procède de la même façon. Nous ne travaillons qu’avec des administrations, c’est le premier problème que l’on rencontre. Je ne comprends pas.

- Comment s’est passé le transport, avant hier?

- Rien de spécial, je vais quand même me renseigner.

Il appelle le Chef du service transport qui les rejoint en salle de réunion.

- Est-ce qu’il y a eu un problème dans le transport d’avant hier pour la prison?

- Rien. Ah si, deux pneus ont éclaté, c’est tout.

- Le chauffeur est là?

- Il est en congé aujourd’hui.

- Vous avez son nom et son adresse?

Le gars s’appelle Robert Mitche, il travaille pour la papeterie depuis douze ans. Quelqu’un de très fiable, divorcé, il vit seul. Ils demandent aussi où ils pourraient le trouver s’il n’est pas chez lui- il n’a pas de téléphone portable-

- Il sera peut être chez son amie.

- Vous savez où elle habite?

- Non, mais je crois que Bouroux le sait.

Celui ci donne l’adresse de la fille.

- Elle n’a pas encore le téléphone, elle vient tout juste d’emménager c’est pour l’aider que Robert a pris une journée.

Pendant que Rolles conduit, Dupuy appelle Ichebac pour le mettre au courant.

Ils arrivent dans une rue triste d’un quartier populaire. Mitche habite au troisième d’un vieil immeuble, sans ascenseur. Ils frappent à la porte, aucun bruit, ils insistent, l’autre porte du palier s’ouvre.

- Vous cherchez monsieur Mitche?

- Oui.

- Il était là en fin d’après midi hier, mais je crois qu’il est reparti, je ne pense pas qu’il ait dormi chez lui, il a du aller chez son amie, il est jeune…

Ils redescendent et partent chez la fille, c’est une petite maison, neuve, il y a encore des emballages tout autour, Rolles sonne, au bout de quelques instants, une jeune femme qui manifestement vient à peine de se lever leur ouvre la porte.

- Bonjour madame, Police, Monsieur Mitche est il chez vous?

- Oui, qu’est ce qui se passe?

- Nous avons besoin de son témoignage.

- Entrez je vais le chercher, nous nous sommes couchés très tard, il a tout voulu finir d’installer hier.

Quelques minutes passent, elle revient suivie par un homme.

- Vous voulez me voir messieurs?

Ils lui expliquent ce qui s’est passé à la prison.

- Vous n’étiez pas au courant?

- Non, en travaillant hier je n’ai pas écouté la radio ni lu le journal.

- Pendant le voyage avant hier, deux pneus ont éclaté?

- Oui. Normalement, je mets une heure et demie pour faire le trajet, les deux pneus ont éclaté en même temps, j’ai eu peur de virer, je n’ai pas compris ce qui s’est passé, la camionnette sortait du garage, ils avaient changé tous les pneus.

- Qu’avez vous fait?

- J’ai prévenu la boîte et comme je n’avais qu’une roue de secours, je suis parti au village le plus proche.

- A quelle distance?

- Environ deux kilomètres, un monsieur m’a pris en voiture et m’a déposé au garage que je connais.

- Quel garage?

- Le garage des Monts, monsieur Morel. Il n’avait pas de pneu de la bonne dimension mais il devait être livré un peu plus tard, il a appelé son fournisseur pour qu’il ajoute deux pneus, ils sont arrivés en fin de matinée.

- Qu’est ce que vous avez fait?

- J’ai été boire un café et je suis revenu attendre au garage.

- Et?

- Vers midi Monsieur Morel m’a emmené à la camionnette, nous avons changé les roues.

- Ça a pris longtemps?

- Une demi-heure à peine.

- Et puis?

- Nous sommes repartis au village.

- Comment?

- Lui avec sa voiture, moi avec la camionnette, comme il n’a pas voulu que je paye le dépannage, je lui ai offert l’apéro et j’ai pris un sandwich.

- Vous avez laissé la camionnette environ trois heures?

- Oui.

- Comment est elle fermée?

- A clefs.

- Pas d’alarme?

- Si.

- Facile à ouvrir sans que l’on s’en aperçoive?

- Toutes les alarmes sont faciles à débrancher….

- Vous ne voyez rien d’autre?

- Non.

Après avoir noté l’endroit où était garée la camionnette ainsi que l’adresse du garage qui a fait la révision, ils repartent, ils ont faim.

- On va manger un plat quelque part et je vais appeler Ichebac, on va lui demander de ce renseigner sur ce Mitche, mais j’ai l’impression qu’il est net. Après on passera au garage qui fait l’entretien de la camionnette.

 

 

La semaine après la fin des vacances de février, ils avaient décidé de se retrouver avec Gregor et Marie dans une station de ski. Il était parti avec les deux filles et Gregor les avait rejoint à Megève. Ils étaient arrivés tard le soir. Il s’était mis à neiger dans la plaine et les gorges de l’Arly étaient fermées. Gregor était déjà arrivé. Ils avaient choisi Megève parce que Gregor et Béa skiaient, Marie un peu, lui pas du tout. Béa ne voulait pas le laisser tout seul, mais un matin où il faisait très beau, il lui avait dit d’aller skier, de profiter du soleil. Marie avait ajouté,

- Je me suis fait un peu mal à la cheville hier, va avec Gregor. Je tiendrai compagnie à Mermed et on peut se retrouver au restaurant du téléphérique.

Tout le monde avait été d’accord.

Il s’était promené avec Marie dans le village et vers midi ils étaient montés au restaurant. Le temps était extraordinaire, la vue magnifique et il bavardait avec Marie, elle lui disait qu’elle aimait Gregor et qu’elle irait bientôt vivre avec lui en Allemagne,

- Vous avez de la chance,

- Toi aussi, tu sais Béa elle t’aime tellement.

- Oui, mais c’est compliqué.

- Oui.

Marie lui avait expliqué que le mari de Béa était plus âgé qu’elle, qu’elle l’avait connue quand elle avait dix neuf ans et qu’elle avait confondu l’amour et l’éblouissement, qu’ils avaient une fille de six ans qui était chez des parents à lui.

- Elle ne m’a jamais dit qu’elle a une fille.

- Je sais…

- Pourquoi sa fille n’est pas avec elle?

- Il sait depuis longtemps que Béa ne l’aime plus, il a pris leur fille, c’est son moyen de pression, elle ne la voit que très rarement. Quand elle lui a parlé de toi, il lui a dit que si elle le quittait elle ne reverrait jamais sa fille.

- Comment s’appelle t’elle?

- Julie.

- Pourquoi ne fait elle rien?

- Ce serait long et difficile.

- Pourquoi?

- Elle avait eu des problèmes avec la drogue avant la naissance de Julie qui est née en Italie où il a été facile de lui en retirer la garde

- Elle m’a parlé de ses problèmes de drogue, mais c’est fini?

- Bien sûr

- Pourquoi Julie est elle née en Italie?

- Elle est italienne, Béa.

Il ne savait pas. C’est vrai, il ne lui avait jamais demandé.

- Qu’est ce que je peux faire?

- Je ne sais pas.

- Si j’allais le voir ce type?

- Surtout pas. Ce serait pire pour Béa et Julie. C’est un homme très dur qui peut être violent.

Gregor et Béa étaient arrivés, le repas avait été agréable et comme Marie lui avait demandé de ne pas dire à Béa ce qu’elle lui avait raconté,

- Tu sais comme elle est discrète et sensible, ne lui dis pas que..

- Bien sûr, mais il faut que nous en reparlions tous les deux.

Et ce soir là, il l’avait aimée comme jamais encore, il était tous les amants du monde, il avait la tendresse de tous les amoureux de l’histoire.

Le dernier jour, Gregor et Béa étaient repartis skier, il s’était retrouvé seul avec Marie.

- J’ai bien réfléchi, ce type est un salopard, il faut que j’aille lui parler, que je lui fasse peur, je sais faire.

- C’est trop dangereux pour Béa et il n’aura pas peur.

- Crois moi, Marie, j’ai l’habitude de mener des durs, je sais y faire.

Alors pour Béa, elle avait cédé, elle lui avait dit son nom et où il habitait et à quoi il ressemblait. Il n’habitait plus à Toulouse où il ne venait qu’une fois toutes les six semaines avec Julie.

- Mermed, tu ne dis rien à Béa.

- Mais non, merci Marie, tu verras tout ira bien et dans quelques semaines, nous fêterons cela tous les quatre avec Julie en plus.

Ce soir là ils étaient sortis et Gregor leur avait dit que Marie venait passer quelques jours chez lui à Francfort avant de s’y installer définitivement. Le lendemain ils se séparèrent. Une centaine de kilomètres avant Toulouse, Béa avait dit,

- Tu sais j’aimerais que l’on aille dans ce bar où nous nous sommes rencontrés, chez Toni.

- Tu te souviens du nom?

- C’est là que je t’ai rencontré…

 

 

Rolles et Dupuy ont vu le garage qui a fait la révision de la camionnette de Mitche il y a quatre jours. Les pneus ont bien été changés.

En partant vers le lieu de l’incident, Dupuy dit

- Le transfert du corps n’a pu se faire que pendant l’arrêt de la camionnette.

- Il a sûrement été provoqué?

- C’est à peu près sûr.

Ils se rendent chez Monsieur Morel, le propriétaire du garage des Monts qui confirme complètement ce que leur a dit Mitche.

- Et quand vous êtes arrivé à la camionnette, il n’y avait rien de particulier?

- Non, rien.

- Pas d’autre véhicule à côté?

- Non.

Rolles et Dupuy discutent entre eux,

- Il faudrait essayer de retrouver des gens qui sont passés sur la route avant hier.

Monsieur Morel intervient,

- Je vous ai entendu, vous pourriez aller à la poste, le facteur passe tous les matins entre dix heures et dix heures et demi sur cette route. Ils vont à la poste, toute proche, par chance le facteur est là.

- Hier en passant vous avez remarqué la camionnette de la papeterie de Henoke?

- Oui

- Il n’y avait pas d’autre véhicule en stationnement?

- Non, il n’y avait personne, je me suis dit qu’elle devait être en panne, il n’y a personne qui habite par là.

- Savez vous qui d’autre fait la route régulièrement?

- Le boulanger, la boîte qui livre la viande au boucher, non ce n’était pas son jour. Mais il y avait les gars de l’EDF qui circulent beaucoup ces jours à cause de la tempête de la semaine dernière, il y a encore pas mal de travail, ils sont d’ailleurs toujours là.

Le boulanger n’a rien vu de particulier.

Deux équipes de l’Edf travaillent sur le transformateur à côté.

- Bonjour messieurs, r vous avez fait la route plusieurs fois avant hier?

- Oui.

- Vous avez remarqué la camionnette de la papeterie?

- Elle y a été pratiquement toute la matinée.

- Vous n’avez pas vu un autre véhicule?

- Si, à un moment il y avait une autre camionnette, deux types qui chargeaient un colis dans celle qui était arrêtée, je me suis dit qu’ils avaient du oublier quelque chose.

- Un gros colis?

- Oui

- Vous reconnaîtriez les types?

- Celui que j’ai vu de face oui, l’autre je ne l’ai vu que de dos, leur camionnette venait de chez Affitaunauto, je l’ai reconnue parce que ma fille travaille pour eux.

- Merci.

Ils repartent à Haran. Rolles appelle Affitaunauto, il leur demande d’envoyer par fax les contrats de location de camionnette de ces derniers jours.

Le commissariat a été très animé toute la journée. Thévenin a mené à bien ses recherches sur la papeterie, c’est une affaire très saine, elle travaille avec de nombreuses administrations depuis longtemps et comme elle a souvent accès à des documents ou des informations confidentiels, elle fait faire des enquêtes régulièrement sur ses salariés. Il a regardé plus attentivement le dossier de Mitche, Rolles le lui avait demandé, c’est un homme très sérieux, divorcé depuis cinq ans, il paye très régulièrement la pension alimentaire et prend ses deux enfants tous les week end et pendant les vacances scolaires. Il n’a pas un train de vie exceptionnel mais il est certainement tout à fait honnête, c’est bien ce que pensaient Rolles et Dupuy.

Tous les fichiers centraux ont répondu, ça a été très rapide, aucune empreinte correspondant à celle de la morte n’est répertoriée.

- ça ne m’étonne pas, celui ou ceux qui ont organisé cette mise en scène sont des malins, s’il y avait eu un risque de ce côté, les empreintes auraient été effacées.

Pendant que Marie Claude a passé les éléments en leur possession au bureau central des personnes disparues et qu’elle étudie le signalement des femmes disparues, Danielle est retournée voir Le Directeur de la prison en milieu d’après midi, il lui a confirmé que tous les surveillants font l’objet d’une enquête préalable et,

- Comme vous me l’avez demandé, j’ai vu tout le monde avec Gomer, ils ont tous vérifié si parmi leurs proches il pouvait manquer une femme correspondant au signalement, rien de ce côté.

- Je suis certaine que le corps a été amené ici – on le sait maintenant- pour donner un signal, un avertissement à quelqu’un ici. Il peut s’agir d’une vengeance ou d’un moyen de pression. Je n’ai jamais vraiment pensé pas que c’était pour un surveillant. Je suis de plus en plus convaincue que le destinataire de ce sinistre colis est un détenu.

- Mais lequel? Ils sont trois cent trente six ici, plus ceux qui sont en chantier extérieur et ceux qui sont hospitalisés.

- Je crois qu’il faut que nous étudiions tous leurs dossiers. Vous n’avez que les mandats de dépôt ici?

- Oui et un rapport sur chacun, son comportement ici, ainsi que la liste de ses parloirs.

- Vous voulez dire le nom des gens qui viennent les voir?

- Oui.

- Vous pouvez nous préparer tous ces dossiers? Et je ferai contacter tous les parquets qui ont instruit leurs affaires.

- Je vous fais passer tout ce qui vous manque, j’ai déjà envoyé les mandats de dépôts cette nuit.

- Merci, on va faire avec ça pour le moment, on verra peut être aussi les dossiers de tous ceux qui sont passés ici. Ceux qui ont organisé ce transport doivent connaître la prison.

- Ça fera plus de vingt mille dossiers.

- Je m’en doute. A bientôt Monsieur Lemek.

 

 

Ils étaient entrés chez Toni

- Tu reconnais Béatrice, Toni?

- Bien sûr.

- C’est gentil, je ne vous ai pas oublié non plus.

Ils s’étaient assis à la table où elle avait mangé son omelette quelques mois plus tôt et ils avaient dîné tranquillement. Il n’y avait personne ce soir là et Claudie leur avait proposé de partager leurs repas, Elle était tellement contente de voir son petit Mermed avec cette fille, aussi heureux, La soirée avançait, il avait fallu partir.

Sur la route, Mermed avait parlé de ce qui le tracassait depuis Megève

- Tu te rends compte si l’on pouvait passer tous les jours ensemble…

- Mermed je ne veux que cela.

- Viens avec moi, reste.

- Tu sais bien…et toutes tes guerres…

- Je quitterais l‘armée. Je peux faire autre chose.

Ils avaient roulé en silence, la main de Béa était sur sa cuisse.

- Tu sais, Marie m’a dit que vous aviez parlé.

- Elle m’avait dit…

- Je sais, mais nous sommes tellement proches, elle me l’a dit, je ne lui en veux pas du tout au contraire.

- Moi, je la remercie, elle est formidable

- Oui, Gregor a beaucoup de chance.

- Moins que moi.

- Non, ne dis pas de bêtises.

- Tu sais, Julie serait heureuse avec nous deux, parle-moi d’elle.

Elle avait raconté Julie, ses grands yeux, ses cheveux tout blonds, mais elle ne la voyait qu’à peine huit ou neuf jours par an c’était tellement dur.

- Et tu ne sais pas où elle est?

- Non. Mais je pense qu’elle est en Italie.

- C’est vrai que tu es italienne.. Et elle, elle ne peut pas te dire où elle habite?

- Elle est encore trop petite.

- Il faut que j’aille parler à son père.

  1. C’est tellement dur de parler avec lui.

  2. - ça vaut la peine d’essayer.

- Ecoute vas y, je n’ai rien à perdre. Que ma fille à retrouver…et toi.

Ils étaient arrivés à Toulouse, ils avaient passé une nuit blanche, une nuit d’amour et de mots, une nuit de tendresse et de peur, elle avait peur, le père de Julie était dur, il pouvait être méchant, elle ne voulait pas qu’il prenne des risques, il la rassurait avec des mots et avec des caresses dont il connaissait bien mieux le vocabulaire.

- J’ai encore deux jours à prendre. Je vais aller le voir et je reviens te dire ne t’inquiètes pas.

- Je t’aime Mermed.

- Je t’aime Béa, à bientôt, quand je reviendrai tu seras libre, nous serons libres.

- Je t’attends, sois prudent, pense à nous.

 

Il était parti, il avait trouvé la maison où Dore, c’était son nom, habitait à Dijon. Il était tôt, il n’était pas encore là. Il avait attendu dans sa voiture et un type qui ressemblait à la description que lui avait fait Marie était arrivé. Avant qu’il ne pousse le portail du jardin, Mermed l’avait rejoint.

- Je m’appelle Mermed je veux vous parler.

- Je ne vous connais pas.

- J’aime votre femme.

- Quoi?

- Tu m’as bien entendu.

Ce type avait une gueule de dur, bien habillé, classe, mais un dur.

- Soyez poli, mon vieux

Et le type avait mis la main à la poche.


Mermed avait eu peur qu’il cherche une arme, alors il lui avait balancé un coup de poing lourd de tout son amour pour Béa et de toute sa haine pour cet homme et il était tombé à la renverse, la tête avait cogné sur l’angle de la marche. Mermed savait, le type était mort.

Il était parti vite, sans faire attention aux deux ou trois personnes qui étaient dans la rue et qui criaient. Il avait repris la voiture et avait roulé vers Toulouse, Il ne pensait à rien, il roulait, vite. Au bout de quelques heures il avait essayé d’appeler Béa, personne, dix fois, vingt fois il avait appelé, toujours personne. A Toulouse il était passé chez Béa, chez son amie, chez Marie, personne. Il avait attendu et puis il était rentré au quartier.

Le lendemain matin les gendarmes étaient venus le chercher. Tous les appels qu’il avait passés dans la nuit à Béa, à Marie étaient restés sans réponse. Il avait réussi à parler avec Gregor qui lui avait dit que Marie était repartie la veille à Paris. Il lui avait raconté ce qu’il avait fait.

 

Au commissariat, Ichebac l’attend. Le labo a rappelé, ils ont fait tous les prélèvements pour les tests génétiques et ils ont découvert qu’elle avait deux dents sur pivot, ce qui peut faciliter l’identification.

- Ils ont dit que l’on pouvait disposer du corps, ils ont fini.

- On va annoncer l’enterrement, je vais aller voir les journalistes, leur donner la date et faire le point avec eux.

Elle revient après avoir rencontré les journalistes.

- Et les personnes disparues?

- Ils sont trois à s’en occuper avec Marie Claude- tous des cracks en informatique- ils épluchent tout.

- On sait bien que toutes les disparitions ne sont pas signalées…

Danielle dit que dès le lendemain il faudra contacter tous les parquets

- On mettra l’équipe de Marie Claude la dessus avec Blanc et du personnel en plus, le directeur m’a dit ce matin de ne pas hésiter à demander des renforts.

Rolles et Dupuy arrivent. Ils expliquent ce qu’ils ont fait.

- Il y a certainement eu une substitution de colis lors de l’éclatement des pneus. On a vraiment affaire à des spécialistes. Comment ont ils pu savoir que la camionnette crèverait à cet endroit?

- C’est une crevaison provoquée.

- Comment?

- Un tireur ou deux, un peu avant le parking il y a une butte avec des arbres, le tireur pouvait être caché là.

- Il faudra ratisser tout le coin, essayer de retrouver des traces, des douilles. On va demander à la gendarmerie de nous aider, je les appelle.

Dès qu’elle a terminé sa conversation avec le patron de la gendarmerie qui mettra une équipe à la disposition des inspecteurs le lendemain ? elle leur demande:

- Et l’identité des gens qui ont loué la camionnette?

- Nous attendons les copies des contrats de location.

- Il sera établi à une fausse identité, mais les gens d’Affitaunauto se souviendront peut être d’eux, ce n’est pas si vieux. On verra demain.

Il est tard, la journée a été longue, pendant que tous rentrent chez eux, Danielle écrit quelques lignes pour fixer ses idées:

  1. un lieu quasiment hermétique

  2. un cadavre transporté dans cette prison

  3. un incendie qui n’est qu’un leurre

  4. Le visage défiguré de la fille, pourquoi?

  5. Ce cadavre est un message adressé à qui? A un surveillant qui a été trop dur avec un détenu, à un détenu?

  6. Ils l’ont défigurée pour bien faire comprendre au destinataire du message qu’ils sont prêts à tout et qu’ils peuvent tout faire, partout.

  7. Qui est-elle?

  8. Qui l’a tué?

  9. Pourquoi ce corps a t’il été déposé ici, à Haran? Et si c’était pour moi ce message?

  10. Pourquoi ce jour là? Parce qu’il y avait une livraison, le type connaît bien la prison, ou il y connaît des gens.

En continuant à réfléchir, elle rentre chez elle à pied, comme la veille elle appelle son père,

- Tu dois avoir tout le monde sur le dos?

- Oui, mais pour le moment ça va.

- Pour le moment…

Avant de s’endormir, elle lit un autre des textes que lui a donné Lemek, il s’appelle la carte postale:

 

«Dans toutes les cellules, bien sûr, il y des cartes postales de vacances, des cartes de villes, de montagnes, tu vois la croix, c’est là que nous sommes. Il y a des cartes du désert, des cartes du bord de mer avec des filles plus ou moins habillées, pour bien rappeler au détenu, qui commençait à le comprendre, que les filles, il n’y a droit que dans les magazines ou à la télévision. Mais on peut avoir d’autres images de femmes et c’est une petite carte avec un visage peint par Bellini (Giovanni, bien sûr) ou Titien. Et l’on est comme ces hommes qui tendent les bras vers celle qui monte, qui leur échappe. On est comme eux parce qu’eux aussi ils ont perdu leur femme. Leur geste est une supplication, une prière, son corps à elle est un regret – regret de les quitter? Mais ses yeux et ses bras sont tournés vers celui qui l’attend, tout se passe comme si son corps regrettait de partir là où son âme l’emmène. Elle est libre, mais il faut que quelques dizaines d’angelots la poussent de toutes leurs forces. Surtout celui de droite, en bas, il force sur l’air, il s’y appuie autant qu’il peut et il regarde les hommes en bas comme pour être sûr qu’elle est hors d’atteinte, qu’elle ne descendra plus. Il n’est pas content, comme celui de gauche, dans les plis de la robe. Est ce qu’elle regrette le monde des hommes? Ou ce bras vigoureux qui l’a presque retenue. L’histoire ne le dit pas, mais Titien le croit, peut être, si l’on a bien compris. Cette spirale merveilleuse du pied de l’homme jusqu’au mouvement de la tête de la femme, n’est ce pas le combat du corps et de l’âme dans un maëlstrom pacifié? On s’égare, on oublie que le tableau ne tiendrait pas, même sur tous les murs de la cellule, mais la carte postale illumine tout.

 

Au fait, est ce que je vous l’ai dit, c’est l’Assomption de la Vierge de Titien et que c’est aux Frari, à Venise et que vous ne pouvez pas vous tromper c’est le seul tableau derrière l’autel.

Regardez le pour moi.»

 

à suivre

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